Indianapolis et la F1 : je t’aime, moi non plus

Ce week-end, les Formule 1 ne seront pas de sortie sur la piste, mais le sport automobile connaît tout de même un rendez-vous majeur de l’année avec les 500 miles d’Indianapolis. Autrefois au calendrier de la F1, cette course mythique est désormais la manche incontournable du championnat d’Indycar. Au fil des ans, la discipline reine du sport automobile a entretenu une relation spéciale avec le Speedway : retour sur ces années mouvementées.

Longtemps dans le patrimoine de la F1 à ses débuts, les 500 miles d'Indianapolis étaient une épreuve redoutable. En 1958, le multiple champion du monde Juan Manuel Fangio ne parvenait même pas à se qualifier pour participer à la course.
La Kurtis Kraft 500G, monoplace qu’utilisera Fangio au 500 miles d’Indianapolis en 1958 (©DR)

Les 500 Miles, une épreuve mythique

Lorsque la F1 crée officiellement son championnat en 1950, la course des 500 miles d’Indianapolis fait partie du calendrier comme manche à part entière. La F1 se mélange alors au championnat américain AAA (Association Américaine des Automobilistes) pour cette course mythique. Mais l’intégration de la F1 y est difficile : sur les 100 pilotes inscrits, seuls deux européens tentent de participer à la course, dont le futur champion du monde Nino Farina.

Les monoplaces n’étant pas à la hauteur de l’ovale, les deux pilotes Maserati ne parviendront pas à se qualifier. D’ailleurs, les pilotes de F1 ne brillent pas sur ce tracé et se laissent déborder par les monoplaces AAA, bien mieux adaptées au profil atypique du Speedway. Cette situation ne va pas s’améliorer, et malgré les années et les efforts fournis par Ferrari, jamais une F1 ne remportera les 500 miles d’Indianapolis.

En 1960, la F1 se retire de cette course mythique, laissant ce divertissement aux Américains, bien plus expérimenté sur ce genre de course. D’autant que cette épreuve traîne une image extrêmement meurtrière, voyant deux pilotes perdre la vie lors de l’édition 1953. La F1 se concentre alors sur son championnat et son développement sans dépendre des 500 miles. Indianapolis avait été ajouté au calendrier dans le seul but de justifier l’appellation de « championnat du monde » (toutes les autres courses se déroulaient alors en Europe) : cette bizarrerie prendra donc fin après dix ans, et alors que la F1 visitait de nouvelles pistes en Amérique et en Afrique.

Indianapolis : la reconquête de l’Ouest

La popularité de la F1 aux États-Unis n’est pas au meilleur de sa forme dans les années 1990, voyant le CART comme la monoplace de référence sur le sol américain. Mais la F1 veut redorer son blason outre-Atlantique, et signe son grand retour en 2000, après neuf ans d’absence, sur un circuit tracé spécialement pour la F1 à l’intérieur de l’ovale. Après avoir multiplié les destinations loufoques (c’est aux États-Unis que la F1 a visité le plus de circuits, parfois même sur le parking d’un casino à Las Vegas), la catégorie reine pense alors s’implanter sur le long terme.


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L'une des images fortes des années 2000, lorsque Michael Schumacher tente une arrivée ex-aequo avec son coéquipier Rubens Barrichello. Finalement, le brésilien sera déclaré vainqueur pour onze millièmes de seconde.
Michael Schumacher laissera sa victoire à Rubens Barrichello pour un superbe photo-finish (©DR)

En 2000, la course est attrayante et voit la bataille entre Michael Schumacher et Mika Häkkinen pour le championnat. C’est le futur septuple champion du monde qui s’impose finalement sur le tracé américain. Son rival lui rendra la pareille en 2001 en lui subtilisant la victoire, dans une atmosphère spéciale puisqu’il s’agissait du premier événement sportif majeur aux États-Unis après les attentats du 11 septembre 2001.

Le circuit d’Indianapolis sera par la suite le terrain de jeu de Michael Schumacher, qui remportera toutes les éditions (exceptées en 2002, où il laissera filer la victoire à son coéquipier sur la ligne, assurant le statut de vice-champion à Rubens Barrichello). Le circuit semble alors bien installé au calendrier et fait alors partie des plus populaires de la saison : l’objectif de raviver la flamme dans le cœur des fans américains semble être atteint.

Le drame des gommes Michelin

En 2005, la F1 se retrouve une nouvelle fois à Indianapolis, mais cette saison va marquer à tout jamais l’histoire de la discipline et l’avenir du tracé d’Indianapolis au calendrier. Lors des essais libres, Ralf Schumacher connaît une défaillance pneumatique et percute dangereusement le mur dans le dernier virage, à toute vitesse. Le resurfaçage du banking mène la vie dure aux pneumatiques Michelin. Le manufacturier n’ayant pas de solution pour parer à ce souci technique, et la FIA étant incapable d’homologuer un nouveau tracé dans un laps de temps si court, l’épreuve va connaître un autre tournant.

L'un des plus grands fiascos de l'histoire de la Formule 1. Six pilotes sur la grille, avec des voitures incapables de rivaliser entre elles, offrant à Jordan et Minardi quelques points de consolation.
Les six rescapés de la terrible défaillance de Michelin (©Formula 1)

Lors du tour de formation, tous les pilotes équipés de gommes Michelin rentrent aux stands et se retirent de la course. Seuls les six pilotes équipés de gommes Bridgestone participent à la course. Un véritable scandale puisque Ferrari et Michael Schumacher l’emportent facilement devant les deux Jordan et les deux Minardi, loin derrière en rythme de course, avec plus d’un tour de retard. Les spectateurs partiront furieux, et ce malgré la promesse de Michelin de rembourser les billets, et d’en offrir 20 000 pour l’édition suivante.

Le premier et seul podium de Tiago Monteiro n’aura pas le goût du succès escompté, bien qu’il s’agira également du dernier podium d’une Jordan en F1. De plus, Ferrari donnera l’ordre à Rubens Barrichello de laisser son coéquipier remporter la course, assurant à Michael Schumacher un succès dans une saison 2005 particulièrement difficile pour Ferrari. Malgré le maintien de la course pour les deux saisons suivantes, Indianapolis ne se relèvera jamais vraiment de cet épisode.

Deux dernières éditions avant de retomber dans l’oubli…

Malgré le fiasco de l’édition 2005, la F1 signe son retour à Indianapolis l’année suivante avec la ferme intention de faire oublier le triste épisode de la saison dernière. Dans une ère de bataille intense entre Fernando Alonso et Michael Schumacher, l’année 2006 est un grand cru. Sur un tracé qui lui aura souvent réussi, c’est l’Allemand qui s’en sort vainqueur, avec plus de mérite que l’an passé. Cette course sera marquée par un carambolage au départ, causant l’abandon de sept pilotes.

Michael Schumacher franchissant la ligne d'arrivée d'Indianapolis, lui assurant une cinquième victoire sur le tracé américain en sept participations. Un record qui ne sera pas prêt de tomber pour l'Allemand.
Quintuple vainqueur, Michael Schumacher est bien le maître de l’Indianapolis Motor Speedway (©CNN)

En 2007, le Motor Speedway accueille la F1 pour sa dernière édition à ce jour. La course est marquée cette année par la lutte intense entre les deux coéquipiers de chez McLaren Mercedes, Lewis Hamilton et Fernando Alonso. L’Espagnol ne parviendra jamais à venir à la mesure du Britannique, qui remporte la deuxième victoire de sa carrière (après la première une semaine plus tôt, à Montréal). Cette lutte marquera également le début d’une rivalité malsaine au sein de l’écurie qui lui coûtera très probablement le titre en fin de saison, Kimi Räikkönen s’imposant pour un petit point face au duo de Ron Dennis. Il s’agit également de la première course de Vettel en F1, où il inscrit ses premiers points en terminant 8e : un record de précocité pour l’époque.

Après cette ultime édition, la FOM décide de ne pas renouveler le contrat d’Indianapolis au championnat, préférant se concentrer sur d’autres circuits tels que Singapour ou Abou Dabi qui intègrent la F1 les années suivantes. Il faudra attendre 2012 pour revoir la F1 retourner sur le sol américain, sur le tracé flambant neuf d’Austin, au Texas, encore au calendrier à ce jour. Une piste qui est devenue ce qu’Indianapolis aurait dû être, à savoir le bastion fort de la F1 en Amérique du Nord. Mais avec l’américanisation de la F1, qui a officialisé son arrivée dans les rues de Miami pour 2022, et d’autres rumeurs concernant le pays de l’Oncle Sam, il ne serait pas inimaginable de considérer un retour d’Indianapolis au calendrier dans les années à venir, faisant probablement oublier l’épisode Michelin une bonne fois pour toute. Le circuit accueille de très nombreuses compétitions sur son circuit interne, modifié depuis le passage de la F1, et des discussions sont en cours pour faire alterner Austin et Indianapolis. L’histoire entre la F1 et le Speedway n’est probablement pas terminée…

Des pilotes dans une autre dimension

Indianapolis, ce n’est pas qu’une histoire de circuit et de machines. Les pilotes qui prennent part à cette épreuve sont de véritables héros au courage hors normes. Et de par son statut unique, le Speedway a forgé de véritables légendes, dont la carrière n’avait pas forcément décollé dans la discipline reine.

Takuma Sato n'aura pas forcément marqué les esprits des fans de F1. En revanche, il laissera une tracé indélébile à Indianapolis, avec son seul podium en F1 et ses deux victoires à l'Indy 500 !
Le seul podium de Takuma Sato en F1 est survenu à Indianapolis (©DR)

L’exemple le plus impressionnant est celui de Takuma Sato. Pilote de F1 entre 2002 et 2008, le Japonais a surtout connu les écuries de fond de grille (Jordan pour ses débuts, Super Aguri à la fin), avec un passage de deux ans chez BAR entre-temps. Largué par son coéquipier Jenson Button en 2004 (le Britannique termine derrière les Ferrari, avec plus du double des points de Sato), le natif de Tokyo n’aura connu qu’un seul podium en F1… à Indianapolis. Signe avant-coureur ? En 2010, il traverse le Pacifique, direction les États-Unis. S’il ne parviendra jamais à briller au classement (sa meilleure saison, en 2017, se boucle par une 8e place), le Japonais compte deux victoires à l’Indy 500. Bon pilote sans être étincelant, Indianapolis a permis à Sato de passer dans une autre dimension.

Le constat est moins frappant pour d’autres pilotes, mais toujours saisissant. Que dire de Juan Pablo Montoya, double vainqueur sur le Speedway (en 2000 en tant que rookie, puis en 2015), alors que sa carrière fut bien trop courte au volant d’une F1 ? Septuple vainqueur en Grand Prix et sur le podium du championnat à deux reprises, le Colombien ne s’est jamais senti aussi bien qu’à Indianapolis, où il s’apprête à parcourir les 500 miles pour la 6e fois de sa longue carrière.

Au rang des noms presque oubliés de la Formule 1, l’Américain Alexander Rossi a également connu de meilleurs jours sur son propre sol. Auteur de seulement 5 Grands Prix en F1 pour Manor Marussia, le Californien quittait la discipline reine par la petite porte. Quelques mois plus tard, il remportait les 500 miles pour sa première participation. Cette année, Sébastien Bourdais, Marcus Ericsson, Pietro Fittipaldi et Max Chilton sont les trois autres ex-pilotes de F1 qui prendront part à la plus prestigieuse des courses sur ovale. Leur heure de gloire est-elle arrivée ?

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